FABRICATION D'UNE GUITARE CLASSIQUE ( Selon l'école espagnole )
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Par Jean Noël REGIS |
Quelle belle aventure que de fabriquer sa propre guitare ! Mais de la mise en œuvre jusqu'aux premières notes jouées, que de temps et de persévérance à y consacrer ! Ne pas se précipiter mais décortiquer, analyser, doivent-être les premières grandes étapes de la gamme de fabrication ! Le seul respect de ces quelques règles est à mon avis le meilleur gage de réussite pour l'avenir !
Pour bien démarrer : ↑ Haut de page
La méthode espagnole est en fait une technique d'assemblage traditionnelle qui a fait ses preuves. Les éléments de la guitare sont positionnés puis assemblés sur une plate-forme de montage nommée "Solera".
L'étude va donc commencer par une analyse de ce que faisaient les grands maîtres de cette école espagnole ( Torres, Aguado & Hernandez, Romanillos,....etc.).
Plusieurs revues existent : "Classic Guitar Construction" d'Irving Sloane, "The Art of Guitar Making" de Andrew Allan, mais pour ma part, je me suis fortement inspiré du livre de Roy Courtnall intitulé "La fabrication des Guitares Classiques" ( Editions H. Vial )
Le livre de Roy Courtnall
Il suffit aussi parfois d'indiquer "fabrication d'une guitare" sur son moteur de recherche préféré pour trouver plein de petits secrets de fabrication sur le net.
Les sites des luthiers peuvent également révéler certains détails de construction.
Et puis, sur notre site Guitare Passion, vous pouvez également consulter l'excellent article de lutherie "Construire sa propre guitare" rédigé par notre ami Gérard Follet.
Le choix du plan de fabrication : ↑ Haut de page
A l'aide du livre de Roy Courtnall, il est possible de choisir la forme extérieure de sa guitare ainsi que le type de barrage. Grace aux différentes cotes indiquées, il est même possible de retracer sous DAO un plan complet de sa guitare à l'échelle 1. A défaut d'effectuer soi même ce plan, on peut se le procurer directement chez l'auteur du livre.
Extrait de plan. Ici choix du barrage de type Hernandez & Aguado.
Et sur internet, voici le plan le plus proche que j'ai pu trouver, avec le même barrage de type Hernandez & Aguado :
http://luthieramateur.free.fr/Plans/GuitarClassLegeay.pdf
Concernant ce plan, les cotes de la caisse correspondent exactement aux dimensions du plan Friederich ( voir la fabrication des guitares classiques de Roy Courtnall ).
A cette étape, il devient également important d'écrire sa propre gamme de fabrication en détaillant chaque sous ensemble ( manche, fond, table, éclisses,...etc.) puis chaque phase d'assemblage de ces sous ensembles entre eux.
La liste des opérations
De même, dès le départ de l'étude, il faudra s'intéresser rapidement à la hauteur de la voûte de table, à celle du chevalet, ainsi qu'à l'inclinaison du manche si l'on veut être sûr, au final, d'avoir une guitare "jouable" de la 1ère à la 12e frette.
Renversement à "zéro degré"
Solution que j'ai adoptée : "renversement nul" du manche.
Le renversement du manche à pour but d’obtenir une hauteur de cordes optimale entre le sillet du chevalet et la table d’harmonie : 11 mm d’après Courtnall avec un renversement négatif de 3 mm. Mais, pour une guitare classique cordes nylon, il est également possible d’avoir la même côte avec un renversement nul, ce qui est ensuite beaucoup plus pratique pour coller la touche ( qui se trouve alors dans l’alignement du manche et ne nécessite pas de retouche inférieure entre les 12e et 19e frettes ) . Dans ce cas, la touche est généralement un peu plus fine (environ 6 à 6,5 mm maxi au lieu de 6,5 à 7,5 mm).
Les pièces constitutives de la guitare : ↑ Haut de page
Dès lors que le plan est effectué, on peut commander l'ensemble des pièces nécessaires à la fabrication de la guitare.
J'ai finalement opté pour l'achat d'un kit semi-ouvré que j'ai pris chez MADINTER ( Espagne ). En prenant ce type de kit, on est sûr de ne rien oublier : le bois ( pour la table, pour le fond, pour les éclisses, pour le manche, pour la touche ) , la rosace, les filets, les clefs, les barrettes, tout est fourni.........même un jeu de cordes !
Les achats divers : ↑ Haut de page
- Colle Titebond rouge pour les assemblages bois et, après essais, UHU Hart pour le collage des filets en plastique (ABS).
Le meilleur résultat : colle UHU Hart de maquettiste
- Prévoir un rabot noisette, une Dremel, quelques fraises carbure et un accessoire de défonçage pour réaliser les gorges de filets.
Ma Dremel 4000, son accessoire et sa fraise Stewart MacDonald (US)
Fabrication de la solera : ↑ Haut de page
En partie inférieure de la solera, un système de tension permet un réglage de la planéité. Un 1/2 gabarit de la forme extérieure de la guitare a préalablement été réalisé. ( Forme Friederich - revue Courtnall ). C'est cette même forme qui à été utilisée pour le tracé DAO de la solera.
Le plan échelle 1 est collé sur une plaque CTBX de 18 mm d'épaisseur.
La solera terminée. Au centre, creux progressif de 2 mm.
Vue sur le système de réglage de planéité ( Vis et profil de torsion )
Cette contreplaque feutrée s'avérera fort pratique par la suite !
Fabrication du fer à cintrer : ↑ Haut de page
Le fer à cintrer les éclisses a été réalisé à partir d'une lampe halogène de 230 Watts pilotée par un variateur de fréquence récupéré sur une vieille perceuse électrique HS. La puissance de la lampe est suffisante pour permettre un chauffage correct dans une plage de 90 à 120°. Pour le tube, j'ai fini par trouver à Leroy Merlin ce superbe accessoire en Inox !
Le plus difficile : trouver un tube Ø 80 mm d'une longueur de 200 mm !
Les composants : 1 lampe halogène, 1 variateur, 1 inter, 1 voyant lumineux
Que la lumière soit......
.......et la chaleur fut ! Relevé de la courbe des températures
Le fer terminé ( utilisation possible en position horizontale ou verticale )
Fabrication de la calibreuse : ↑ Haut de page
Il s'agit d'un accessoire de calibrage prévu pour être monté sur une fraiseuse à axe horizontal. Dans le principe, un rouleau bois Ø 185 mm x L = 420 mm est revêtu d'un velcro sur lequel est fixé une bande de papier abrasif.
Etape 1 : Le rouleau est monté entre pointes sur la fraiseuse et l'entrainement ( de type Toc ) se fait par 3 vis Ø 10 mm.
Etape 2 : Un carter de protection équipé de 2 presseurs glisse sur la lunette de la fraiseuse et vient coiffer le rouleau bois de calibrage.
Etape 3 : Une contre table bois monte et vient se positionner sous le rouleau de calibrage.
Etape 4 : Branchement d'un aspirateur. En moins de 5 ' tout est prêt. Il n'y a plus qu'à engager le bois à calibrer.
Données techniques : le rouleau tourne à 600 Tr/ minute ce qui assure une vitesse linéaire de Π x 0,185 x 600 = 348 m / minute
Usinage des pièces constitutives du rouleau de calibrage.
Dressage du rouleau
Rectification du rouleau
Début d'assemblage du carter
Vue sur les 2 presseurs
Fixation de la bande abrasive sur le velcro
Prêt pour le calibrage
Fabrication du petit outillage : ↑ Haut de page
Le petit outillage finissant par coûter très cher, il peut-être intéressant de le fabriquer soi même.
Ont été réalisés par mes propres soins : les serre-joints spécifiques à la lutherie ( col de cygne ), les presses à tabler, 11 blocs de support éclisses, 2 gabarits d'éclisses, le 1/2 gabarit de forme extérieure de la guitare, 1 bloc pour la fixation du chevalet, sans compter les petits ciseaux à bois taillés dans des lames de scie, le profilage de racloirs, .....etc.
Petit matériel de fabrication maison.
Le bloc de fixation du chevalet est rectifié suivant le "creux de voute de 2 mm"
Fabrication de la guitare : ↑ Haut de page
A part le manche qui était ébauché lors de la livraison du kit Madinter et la table déjà assemblée qui n'a nécessité qu'un simple calibrage, l'ensemble des opérations de montage est resté conforme à la gamme précitée. Très souvent, avant une étape difficile ( réalisation des gorges de filets à la Dremel ou cintrage des éclisses ), des essais "à blanc" ont été réalisés préalablement, de manière à acquérir la bonne technique.
Réalisation du lamage sur lequel la table sera collée.
Le lamage terminé ainsi que la zone d'ancrage de type Fleta ( queue d'aronde )
La table et son barrage : ↑ Haut de page
Le barrage de type Hernandez & Aguado.
Préparation du fond : ↑ Haut de page
Les barres de fond sont profilées à la forme de voûte désirée.
Après cintrage des éclisses, collage des conte-éclisses de table.
Assemblage manche, table, éclisses : ↑ Haut de page
Un ultime contrôle de planéité de la solera avant collage du manche.
L'angle de renversement du manche ( ici, prévu à "zéro degré") ne sera correct que si la planéité de la solera est elle même contrôlée et au besoin ajustée, juste avant les opérations d'assemblage final par collage ( jeu de 0,1 à 0,2 mm maxi entre la règle et la cale centrale ).
Collage tasseau et manche. La barre maintient la structure jusqu'au collage des éclisses.
Collage des éclisses sur la table.
Verrouillage du manche, collage du fond : ↑ Haut de page
Cale de blocage du manche et arase de positionnement du fond.
Collage des contre-éclisses de fond.
Petits aménagements intérieurs.
Collage du fond.
Réalisation des feuillures de filets sur le fond et sur la table.
L'accessoire acheté chez Stewart MacDonald ( Precision Router Base and Edge Guide ) permet de gagner beaucoup de temps lors de la réalisation des feuillures. Avec leur fraise carbure ( ref 4032 ) le résultat est net, sans bavures, et sans éclats
Document Stewart MacDonald. L'appui se fait à la fois sur la table et sur l'éclisse
Le résultat obtenu avec la Dremel et la fraise carbure.
Pose du filet de fond ( filet ABS de 5 x 1 mm ).
Pose des filets de table ( 2 blancs et 1 noir en 0,6 x 3 mm + 1 noir de 5 x 1 mm ).
Les 4 filets de table ont été posés en même temps. ( Quelques essais préalables ont été réalisés dans une latte en sapin ). Contrairement à la tradition, et bien que j'ai testé la solution, je n'ai pas servi d'aiguilles pour maintenir les filets. J'ai simplement utilisé un scotch de masquage pour travaux de peinture en courbes et arrondis ( le beige gaufré ) . Cet adhésif assure une très bonne tenue des filets et n'arrache pas les fibres de l'épicéa le lendemain, lorsqu'on le retire.
Détail d'insertion au niveau du manche.
Le résultat obtenu après suppression du scotch de masquage.
Contrôle de positionnement puis collage de la touche.
Rectification de la touche.
Mise en place des barrettes puis rectification.
Le vernissage : ↑ Haut de page
A ce stade, un bon nombre de fonds durs et vernis de différentes duretés ont été essayés. De même ont été effectués des essais au pistolet, au tampon et au pinceau. Finalement, le pistolet a rapidement été écarté ( poussière, grain, épaisseur de couche non uniforme ), ainsi que le tampon ( séchage trop rapide de mon vernis antique ). Le meilleur résultat a été obtenu au pinceau !! ( A défaut de pinceau en poil d'écureuil : pinceau blush no 42 de Séphora, en poil naturel de chèvre )
Eventail des vernis testés
Vernis finalement utilisé : "V33 passages extrêmes".
inconvénient : ne "mouille pas le bois". Il faut impérativement utiliser un fond dur à solvant de type "white spirit"
avantages : très facile à appliquer, nettoyage à l'eau, aucune odeur et séchage 2h entre couches !
Fond dur des "anciens ébénistes"
Entre couches de vernis : papier à l'eau jusqu'au semi mat : grain 400, puis 600, puis 1000. ( 1200 en dernière couche ).
Pour finir : Pâte à polir "P5 automobile". Brillance obtenue avec une mouflette montée sur une perceuse à vitesse lente.
Phase de séchage du vernis.
Pose du chevalet : ↑ Haut de page
Positionnement du chevalet et retrait du vernis à l'emplacement de collage.
Collage du chevalet.
La guitare est pratiquement terminée. Il ne reste plus qu'à positionner une jolie étiquette à l'intérieur, à mettre en place les sillets de tête et de chevalet, les mécaniques, à monter les cordes ( Alliance HT Classic 540J tension forte ), et à contrôler la conformité de l'action à la 12e frette ( exactement celle initialement prévue aux plans DAO soit ~3mm sous la corde E1 et ~3,5 mm sous la corde de E6 ).
Quelques précisions :
Manche et tête : cèdre
Table : épicéa massif
Fond et éclisses : acajou laminé
Touche : ébène
Prix de revient ? assez élevé : au minimum à hauteur de 2000 € car j'oublie certainement une bonne part d'équipement et d'outillage dans cet estimatif !
Matériel SMD : limes de sillet, fraises, guide de défonçage, marteau de frettage, rabot noisette, lime frettes, 1 mini étau, pince coupe frettes et divers : ~500 €
Kit Madinter : ~150€
Luthimate : colles et divers ~ 50€
LM : accessoires divers, abrasifs, vernis, petit outillage, 1 scie à chantourner, 1 petite scie à ruban, 1 Dremel : ~800€
Petit matériel et divers : visserie, planches pour la soléra, profils métalliques, pinceaux, 1 pistolet pour essais de vernissage, ....etc ~500€
Cette fois, elle est terminée, il n'y a plus qu'à jouer !!!!!
Le mot de la fin : ↑ Haut de page
Lorsque je me suis lancé dans l'aventure, j'avais prévu de fabriquer 2 guitares classiques de sorte que la 2e puisse bénéficier de l'expérience de la 1ère. De ce fait, j'avais acheté 2 kits chez Madinter. Aujourd'hui, il me reste un gros carton rempli de planches brutes. Mais cette nouvelle guitare verra t elle le jour dans un futur proche ? Pas sûr au vu du temps qu'il aura fallu consacrer à la première ! De la mise en œuvre jusqu'aux premières notes jouées, comme je disais en préface, ........... il se sera passé quand même une bonne année ! En tous cas, ce fut pour moi une très belle expérience enrichissante et pleine de rebondissements ! Il est donc grand temps maintenant de clore ce chapitre. Je vais donc le terminer par un clin d'œil à une époque que j'ai connue : il y avait en France une tradition aujourd'hui tombée en désuétude. Lorsqu'un maçon avait terminé son édifice et que la maison était couverte, il plaçait à son sommet un sapin ! Et dans tout le quartier, c'était la fête, pour le plus grand bonheur des enfants ! Depuis le début de cette étude, et plus précisément depuis la fabrication du fer à cintrer, il me reste une pièce dont je ne sais que faire ! Alors, puisque maintenant la grande mode est au recyclage......et bien, recyclons !
Le bouquet final.
Jean-Noël REGIS
Mars 2014